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France et Afrique Subsaharienne

Spahi sénagalais Soudan 1887

Spahi sénagalais Soudan 1887

La France va s’intéresser très tôt à l’Afrique de l’Ouest. La ville de Saint-Louis est fondée au XVII siècle à l’embouchure du fleuve Sénégal. Ce nom est choisi pour rendre hommage à Louis XIV à travers son aïeul Saint Louis. La compagnie du Cap Vert y établit un premier comptoir en 1633. C’est de là, de l’ile de Gorée plus au sud ou du Cap Vert que s’organise le commerce des esclaves et des matières premières. Les européens pénètrent rarement à l’intérieur des terres jusqu’au XIX° siècle.  C’est à la fois dangereux, notamment en raison des maladies, et inutile. Les rois et seigneurs du Dahomey ou de l’Ashanti fournissent des esclaves, qu’ils prélèvent dans la brousse.  Le commerce se fait depuis la côte dans des comptoirs transformés en forteresses.

La colonisation au XIX° siècle va être d’une autre dimension. Il s’agit désormais d’étendre son emprise sur les territoires, afin d’en exploiter les richesses. Cette expansion territoriale, cette mise sous tutelle, nécessitent des hommes. D’abord on explore, puis on conquiert, on s’installe et enfin on exploite le territoire. Cette administration des territoires va nécessiter des opérations de maintien de l’ordre et de règlement des conflits avec les autochtones ou les puissances coloniales rivales. Une organisation militaire se dessine.

La force noire

Faidherbe devient gouverneur du Sénégal en 1854. C’est un officier français, sorti de polytechnique. Sa carrière a débuté à Metz, à côté de Verdun, s’est poursuivie en Algérie et en Guadeloupe. Il crée le corps des tirailleurs sénégalais en 1857.  Le décret de création des tirailleurs sénégalais a été signé l’année précédente le 21 juillet 1856 à Plombières dans les Vosges (Lorraine) par Napoléon III. Ce corps intègre principalement des « captifs » rachetés à leurs maîtres locaux. La France a aboli l’esclavage en 1848 mais, dans les territoires qu’elle a conquis après cette date, tolère la pratique des « captifs », sorte d’esclavage local qui ne dit pas son nom. L’engagement dans l’armée permet de mettre fin à cet état.

Si les tirailleurs sont d’abord originaires du Sénégal, le recrutement sera bientôt étendu aux contrées voisines ou plus éloignées, qui constitueront plus tard l’AOF (Afrique occidentale Française 1895-1958) et l’AEF (Afrique Equatoriale Française 1910 - 1958). Pour créer les tirailleurs sénégalais, l’armée s’appuie sur l’exemple des tirailleurs algériens et tunisiens, les fameux « turcos » créés en 1842. A la création, les coutumes « locales » d’inspiration musulmane sont respectées, culottes turques avec de nombreux plis, vestes turques et larges ceintures rouges, dans lesquelles on s’enroule, havresacs en peau de bouc et les fameuses chéchias rouges. Après le vert, le rouge est – dit-on – une couleur prisée du prophète Mahomet. L’absence de visière sur les coiffures permet au croyant de se prosterner jusqu’au sol lors de la prière. La tenue évoluera jusqu’à la Première Guerre Mondiale mais la chechia ne disparaîtra pas. Elle changera toutefois de teinte, bleue et kaki, par souci de camouflage, avant de redevenir rouge. Mais elle n’est plus portée qu’en dehors des secteurs de combat. Le port du casque est devenu la règle.

Faidherbe aime l’Afrique et les africains. Il s’intègre à la société sénégalaise. Il est d’ailleurs surnommé N’Diaye et aura un enfant avec une Soninké, Louis Faidherbe qui deviendra officier dans les tirailleurs. Faidherbe est convaincu de la valeur des tirailleurs sénégalais, convaincu qu’ils constituent une force sur laquelle la France va pouvoir compter.

Bien des années plus tard, le colonel Mangin, qui a servi dans les colonies, partage cet avis, qu’il formule à sa manière, et le fait connaître dans un ouvrage intitulé « la Force Noire » paru en 1910. Sa théorie : la « race française » s’affaiblit, l’égoïsme, le bien-être, voire les valeurs démocratiques, en sont la cause. Les termes race française et race allemande à cette époque sont couramment usités et ne choquent pas. Pour Mangin, plus un pays est développé, moins il fait d’enfants. Il propose en conséquence d’avoir recours aux ressources militaires des colonies, d’autant que les noirs, selon lui,  « courageux et résistants », ont une vocation « naturelle » à être militaires. Dans un rapport au gouvernement, il évoque le chiffre de 40 000 hommes. Il propose finalement d’en recruter 20 000. Après un débat houleux, l’Assemblée Nationale n’en retiendra que 5 000.

Les maisons de commerce qui ont besoin de main d’œuvre, l’Etat Major de la métropole, l’administration coloniale, en proie à des difficultés dans  d’autres secteurs, n’y sont pas favorables. Et puis la « coloniale » n’a pas bonne presse. Rapine, agressions, prostitution, les journaux sont remplis de faits divers imputés aux soldats et sous-officiers originaires de la métropole. Par ailleurs, Jaurès et les socialistes fulminent : faire appel à la force noire, c’est proclamer la « faillite de la force militaire de la France ».

Cependant, la tension en Europe continue de monter. En février 1912, le Président Poincaré, natif de la Meuse (Lorraine), signe un décret qui stipule que «  le recrutement des corps de troupes et services dans lesquels entrent des indigènes de race noire du groupe de l’AOF est assurée par voie d’appel, d’engagements volontaires et de rengagements ». Ils pourront être mobilisés, y compris  « pour une opération hors territoire ». En 1913, il remet opportunément la légion d’honneur au 1er régiment de tirailleurs sénégalais et enfonce le clou : « Cet honneur insigne consacre et récompense le mérite des glorieuses troupes qui, dans le passé, ont porté le drapeau de la France dans toutes les contrées de la terre africaine ; il est aussi un puissant stimulant pour celles qui, dans l’avenir, auront à le conduire partout où le gouvernement de la République voudra les employer ». Les occasions ne manqueront pas.

Ci-dessous: Louis Faidherbe, gouverneur du Sénégal en 1854. Images suivantes: Yora Comba, 38 ans, Saint Louis Lieutenant aux tirailleurs sénégalais avant 1889 (source Gallica), Carte AOF (parue dans "la force noire", du colonel Mangin)